Colloque de la cour de cassation sur l'expertise judiciaire
Le 31 mars 2017, la Cour de cassation a organisé un colloque intitulé « La médecine judiciaire: d’hier à aujourd’hui: Regards croisés ».
Cette question intéresse particulièrement les victimes de dommages corporels et leurs avocats puisque deux problématiques se posent:
I. La place de la médecine dans le procès et plus précisément les rapports entre juge et médecin.
Il s’agit là de savoir à qui revient l’appréciation des faits: Au juge ou au médecin ?
Depuis plusieurs années, on critique la justice sur un potentiel glissement de la dépendance des juges envers les médecins avec la crainte que le juge n’ait qu’un rôle d’homologation du fait de son absence de connaissance technique.
Ce colloque a donc souhaité reprendre l’évolution de la médecine légale pour illustrer l’évolution de la place de la médecine dans le procès.
II. La distinction entre la preuve juridique et la preuve scientifique.
Concernant ce deuxième point, lequel a plus d’incidence en pratique sur l’indemnisation des victimes de dommages corporels, il n’est pas toujours possible de prouver scientifiquement qu’un accident, une agression, soit la cause des blessures de la victime.
Or, la justice considère que la preuve juridique ne se confond pas avec la preuve scientifique.
Il est de jurisprudence constante qu’il existe une présomption de causalité dès lors qu’avant l’accident la victime ne présentait aucun état antérieur.
Ainsi, si les séquelles sont uniquement apparues suite à l’accident alors ses séquelles doivent être indemnisées par l’assureur du responsable de l’accident ou par le Fonds de garantie en cas d’agression.
I. 1ère partie du colloque: partie historique: La naissance et l’évolution de la médecine légale
A. Au Moyen Age
Au Moyen Age, l’aveu est la reine des preuves.
Quid de la place de l’expertise ?
Dans la hiérarchie des preuves, la parole de l’expert médical a une autorité supérieure à un seul témoignage mais elle n’est pas au sommet de cette hiérarchie (contrairement à aujourd’hui).
Ce n’est qu’une donnée pour le juge – l’expert donne seulement une hypothèse.
Toutefois, à la fin du moyen âge, avec le progrès de la médecine et en particulier les progrès autour de l’autopsie, le médecin est devenu un véritable auxiliaire de justice.
B. Sous l’ancien régime
Sous l’ancien régime, il n’existe pas encore la spécialité de la médecine légale puisque cela contrevient aux croyances religieuses de l’époque et qu’il n’existe que des chirurgiens pratiques.
Ce n’est qu’au 17ème siècle qu’il apparait un monopole de la médecine légale, suite aux travaux d’Ambroise Paré puis de LAFOSSE (de Montpellier).
Avant le 17ème siècle, le juge a l’appréciation de recourir à une expertise puis il peut décider de la suivre ou non.
Mais sous Louis XIV, on peut obliger le juge à faire appel à un médecin et son pouvoir discrétionnaire disparaît.
Sur l’automaticité de recourir au médecin
La question qui se pose est: L’appréciation médicale est elle une faculté ou une obligation pour le juge?
Au Moyen Age, l’expertise apparaît sous l’inquisition.
Au 16ème siècle, un tournent apparait dans les rapports juge/médecin.
L’Edit de 1536 impose au juge de se déplacer en 1er sur les lieux d’une infraction pour faire une audition de la victime ou ses constatations si la victime est décédée, et c’est dans un second temps que le médecin intervient sur les lieux.
Puis avec la progression de la procédure inquisitoire, il a été reconnu le droit aux parties de réclamer une expertise médicale (Louis XIV – Ordonnance de 1670).
Ainsi, l’intervention des experts est reconnue et devient un principe.
Sur l’obligation de recourir à l’expert médical
Le corps médical se divise initialement entre laïcs et ecclésiastiques.
A partir du 12ème siècle, les religieux ont interdiction de verser le sang.
C’est dans ces conditions que des professions sont apparues: sage femme, chirurgiens et barbiers puis médecins (médecins étant tournés vers la théorie et non la pratique).
A cette époque, le juge avait la liberté de choisir son expert.
Puis, sous Henri IV, un statut extraordinaire est donné aux experts: constitution d’un corps national avec à sa tête le 1er médecin du roi en qualité de 1er expert national.
C’est par l’Edit de 1592 qu’il est demandé au 1er médecin du roi d’organiser la médecine légale.
Or, cet édit est fortement contesté par les médecins locaux en l’opposant à l’Edit de 1536 qui impose aux médecins d’intervenir avec célérité sur les lieux de l’infraction.
La royauté, par Ordonnance de 1670 réaffirme la supériorité du 1er médecin du roi.
Mais finalement, face à la résistance des locaux, le roi, en 1692, crée des offices locaux.
Cela étant, ces offices ayant une valeur vénale et étant héréditaires, « de nombreux experts » se retrouvaient experts sans réelle compétences.
A la veille de la révolution, un mouvement se forme pour les supprimer et les remplacer par un corps professionnel formé après avoir suivi un programme spécialisé en médecine légale.
C’est ainsi qu’en 1794 un enseignement spécifique est reconnue.
Or, face à la spécialisation des experts, les juges perdent de leur pouvoir, l’appréciation des faits échappant de manière croissante au juge au bénéfice du médecin.
Toutefois, en définissant le contenu du rapport des experts, les juges ont permis de garder un contrôle du procès puisque seuls les juges sont compétents pour conclure au niveau juridique.
Le contenu du rapport
Pendant longtemps, l’avis des experts était lapidaire : liberté du médecin d’établir son rapport avec pour seule condition l’authenticité de l’expert.
En 1536, une Ordonnance est prise imposant aux médecins de rapporter en termes intelligibles (le principal objet du rapport étant d’éclaircir l’avis du juge, celui ci doit être claire)
Son contenu devait regrouper les constats et les hypothèses des médecins.
Puis en 1670, de nouvelles obligations sont imposés aux experts sur le contenu de leur rapport et des guides sont établis.
A la fin du 18ème siècle, le rapport doit comporter 3 parties: constatations, conclusions et authenticité du rapport
Ainsi, plus la médecine devient technique, plus le juge a besoin d’y recourir.
Toutefois, l’expert ne conclue pas sur les conséquences juridiques.
On peut donc en conclure que même si l’expertise est une limite au pouvoir des juges (et met fin à une justice arbitraire uniquement fondée sur les aveux vrais ou faux), l’expertise permet au juge de garantir la justice aux victimes.
II. La distinction entre la preuve juridique et la preuve scientifique.
A. Propos liminaires sur la médecine d’aujourd’hui et la relation patients/médecins
Pendant longtemps, les patients devaient attendre des heures dans les salles d’attente des médecins.
Puis, on a assisté à l’apparition de la secrétaire médicale pour prendre des rendez vous.
Aujourd’hui, la secrétaire médicale est remplacée de plus en plus par des sites web pour fixer soit même son rendez vous en fonction des disponibilités des médecins.
Il existe même des applications mobiles pour être reçu immédiatement par un médecin proche du lieu où l’on se trouve.
Par ailleurs, il existe depuis 15 ans un robot appelé le robot nono qui permet d’avoir accès à la santé dans des zones reculées qui n’avaient pas d’accès aux soins (intelligence artificielle en médecine).
Se pose ainsi la question de la survivance de la relation humaine.
Enfin, quel est l’avenir de la relation patient/médecin de demain ? Certainement, grâce aux données personnelles, on pourra aller voir son médecin avant même d’être malade (médecine préventive) et même avant d’être sorti du ventre de sa mère.
On peut dès lors se poser la question de l’indemnisation du préjudice d’impréparation reconnus par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation:
- Par deux arrêts du 24 septembre 2012 et du 10 octobre 2012, le Conseil d’Etat reconnait le préjudice d’impréparation dès lorsque le dommage corporel est effectif : « Indépendamment de la perte d’une chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques courus ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles »(CE 24 sept. 2012, n°336223 et CE 10 oct. 2012, n°350426).
- Par un arrêt du 23 janvier 2014, la Cour de Cassation adopte la même position que le Conseil d’Etat.
- Enfin, par arrêt du16 juin 2016, le Conseil d’Etat facilite l’indemnisation des victimes de ce préjudice en jugeant que les conséquences morales liés au défaut de préparation sont présumées (CE, 5ème- 4ème chambre réunies, 16 juin 2016, n° 382479). Ainsi, il n’est pas possible pour le médecin de se soustraire de son obligation d’information alors même que l’acte médical est nécessaire.
De même, se pose la question de la responsabilité du patient: depuis la loi de 2002, le patient et le médecin sont des partenaires
Enfin, quid de la violation du secret professionnel via le numérique?
Envoi d’un mail par le médecin alors que la boite mail est également lue par les proches, absence de boite de messagerie sécurisée
La télémédecine dans les milieux pénitentier: en 2010, télémédecine légalisée exprès pour le permettre en prison et finalement pas de développement du fait du cout financier et de l’absence de formation des médecins